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Autobiographie Born to Run (recherche chapitre 2 VF)

Bonjour,

J’ai chez moi l’autobiographie de Bruce en anglais mais j’aurais besoin du chapitre 2 en VF.

Est-ce que quelqu’un aurait la gentillesse de me le scanner et de me l’envoyer ?

Merci par avance !!

🙏

Opinions are like asshole, everybody has one...

je n'ai pas de scan mais si ça te vas, je peux te le photographier ?

Hey Ho Let's Go

Si c’est bien uniquement le texte du chapitre 2 que tu recherches, page 17 à 22,

je te le copie ici (c'est tiré du ebook) :

 

DEUX

MA MAISON

C’est jeudi soir, le soir des poubelles. On est mobilisés, sur le pied de guerre. On monte dans la berline de 1940 de mon grand-père, en attendant de nous déployer pour fouiller dans tous les tas d’ordures qui débordent des trottoirs de notre ville. D’abord Brinckerhoff Avenue – c’est là qu’il y a de l’argent et que les poubelles sont les plus opulentes. Nous, on est là pour vos radios, n’importe quelle radio, quel que soit son état. On les récupère parmi vos déchets, on les flanque dans le coffre et on les rapporte chez nous, à la « remise » en bois, non chauffée, de deux mètres sur deux, dans un minuscule recoin de notre maison. Ici, été comme hiver, la magie opère. Ici, dans cette pièce qui déborde de fils électriques et de tubes électroniques, je resterai studieusement assis à côté de mon grand-père. Pendant qu’il traficote les fils, soude et remplace les tubes défectueux, on guette ensemble le moment crucial : cet instant où le chuchotement du souffle, le magnifique grésillement des parasites et le superbe rougeoiement solaire de l’électricité vont de nouveau affluer dans les carcasses mortes des transistors sauvés du rebut.

Ici, dans l’atelier de mon grand-père, la résurrection est une réalité. Le silence du vide va s’estomper, pour laisser place aux voix lointaines et crépitantes des prêcheurs du dimanche, aux baratins publicitaires, à la musique des big bands, aux débuts du rock’n’roll et aux feuilletons radiophoniques. C’est le son du monde extérieur qui s’efforce de parvenir jusqu’à nous, qui vient nous chercher dans notre petite ville et, surtout, nous tirer de notre univers hermétiquement scellé du 87 Randolph Street. Une fois revenus à la vie, tous les articles seront revendus pour cinq dollars dans les campements des ouvriers agricoles qui viennent travailler l’été dans la commune limitrophe. Voilà l’Homme radio. C’est sous ce nom que mon grand-père est connu parmi la population migrante noire, originaire en grande majorité du Sud, qui chaque saison revient en bus pour les récoltes du comté rural de Monmouth. Sur les chemins de terre menant aux cabanes, où persistent des conditions de vie dignes de la Grande Dépression, ma mère accompagne mon grand-père, diminué depuis sa dernière attaque ; il vient faire des affaires avec les Noirs dans leurs campements. Je suis allé avec eux une fois et j’ai eu une trouille bleue, cerné au crépuscule de visages noirs épuisés, éreintés. Les relations entre les différentes populations, qui n’ont jamais été excellentes à Freehold, déboucheront dix ans plus tard sur des émeutes et des fusillades, mais pour l’instant c’est un calme silencieux empreint de malaise. Je suis simplement le petit-fils, le protégé de l’Homme radio, au milieu de ses clients, et c’est là que ma famille se démène pour joindre les deux bouts.

On vivait quasiment sous le seuil de pauvreté, mais je n’y pensais jamais. On était vêtus, nourris et on avait un lit. Certains de mes amis, blancs ou noirs, étaient moins bien lotis. Mes parents avaient un emploi, ma mère était secrétaire juridique et mon père travaillait chez Ford. Notre maison était vieille et délabrée, chauffée par un unique poêle à mazout. À l’étage, où dormait ma famille, les matins d’hiver, au réveil, on voyait la buée s’échapper de nos bouches. Un de mes plus anciens souvenirs de jeunesse est l’odeur de mazout quand mon grand-père rechargeait le poêle. On faisait à manger sur le poêle à charbon de la cuisine ; petit, je déchargeais mon pistolet à eau sur la plaque brûlante et je regardais la vapeur s’élever. On sortait les cendres par la porte de derrière, puis on les jetait en tas, dehors. Chaque jour, j’allais y jouer et je revenais couvert de poussière grise. On avait un petit réfrigérateur cubique et on a été parmi les premiers de toute la ville à posséder un téléviseur. Dans une vie antérieure, avant ma naissance, mon grand-père avait été le propriétaire de Springsteen Brothers Electrical Shop. Si bien que lorsque les téléviseurs furent commercialisés, notre foyer fut un des premiers équipés. Ma mère m’a raconté que tous les voisins de la rue défilaient à la maison pour admirer le nouveau miracle et regarder Milton Berle, Kate Smith et Your Hit Parade ou voir les catcheurs comme Bruno Sammartino se battre contre Haystacks Calhoun. À six ans, je connaissais par cœur l’hymne de Kate Smith « When the Moon Comes Over the Mountain ».

Dans cette maison, en vertu de l’ordre de naissance et des circonstances, j’ai été tout à la fois un seigneur, un roi et un messie. Comme j’étais le premier de ses petits-enfants, ma grand-mère s’est focalisée totalement sur moi, pour compenser la mort de ma tante Virginia. Rien ne m’était interdit. C’était une liberté effroyable pour un jeune garçon et j’en ai profité au maximum. À cinq ou six ans, je pouvais veiller jusqu’à trois heures du matin et dormir jusqu’à trois heures de l’après-midi. Je regardais la télé jusqu’à la fin des programmes, et je me retrouvais tout seul devant la mire. Je mangeais ce que je voulais, quand je voulais. Je m’éloignais insensiblement de mes parents, et ma mère, dans sa confusion et son désir d’avoir la paix, cédait à l’emprise de ma grand-mère. Petit tyran timide, je constatais que les règles ne s’appliquaient qu’au reste du monde, du moins jusqu’au retour de mon père à la maison. Il arpentait la cuisine d’un air renfrogné, en monarque détrôné par son fils aîné à l’instigation de sa mère. Notre maison en ruine ainsi que mes propres excentricités et mon formidable pouvoir, malgré mon jeune âge, me faisaient pourtant honte et m’embarrassaient. Je voyais bien que les autres fonctionnaient selon des règles différentes et les copains du quartier ne manquaient pas de se moquer de mon comportement. J’adorais mon statut, mais je savais qu’il n’était pas normal.

Lorsque j’ai été en âge d’aller à l’école et qu’il a fallu que je me plie à des horaires, j’ai été pris d’une rage intérieure qui ne m’a pratiquement pas quitté de toute ma scolarité. Ma mère savait qu’il était bien trop tard pour remettre les pendules à l’heure mais il faut bien dire, pour lui rendre justice, qu’elle a tenté de me récupérer. Elle nous a fait déménager de chez ma grand-mère et on s’est installés dans une petite maison mitoyenne, tout en longueur, au 39 ½ Institute Street. Pas d’eau chaude, quatre pièces minuscules, à quatre rues de chez mes grands-parents. Puis elle a essayé de m’inculquer le respect de limites normales. Rien à faire. Pour moi, ces quatre rues de distance valaient un million de kilomètres. Je hurlais de colère, furieux de ce que j’avais perdu,et je saisissais la moindre occasion de retourner dormir chez mes grands-parents. C’était là-bas ma vraie maison, et j’avais l’impression que c’étaient eux mes vrais parents. Je ne pouvais pas et ne voulais pas en partir.

Il n’y avait désormais plus qu’une seule pièce fonctionnelle chez eux, la salle de séjour. Séparé par un rideau, le reste de l’habitation était à l’abandon et tombait en ruine, littéralement ; on allait se soulager dans un cabinet de toilette glacial, plein de courants d’air, et on n’avait rien pour se laver. Mes grands-parents vivaient à présent dans des conditions d’hygiène déplorables, qui aujourd’hui me choqueraient. Je me souviens d’avoir été effrayé et gêné par les sous-vêtements souillés de ma grand-mère, qui venaient d’être lavés et séchaient sur le fil à linge, dans le jardin, symboles de cette intimité déplacée, tant physique qu’affective, qui faisait de cette bicoque un lieu si déroutant et si fascinant. Mais je les aimais et j’aimais cette maison. Ma grand-mère dormait sur un canapé à ressorts usé jusqu’à la trame, avec moi bordé à ses côtés, tandis que mon grand-père avait un petit lit de camp à l’autre bout de la pièce. C’était tout. Voilà à quoi aboutissait l’absence de limites de mon enfance. Voilà où il fallait que je sois pour me sentir chez moi, en sécurité, aimé.

Le pouvoir atrocement hypnotique de cette baraque et de ses habitants ne me quitterait jamais. Je le revisite en rêve aujourd’hui, j’y retourne sans cesse, je veux y revenir. J’y éprouvais un sentiment de sécurité ultime, tout était permis, c’était le royaume d’un amour terrible, inoubliable et infini. Ça m’a à la fois détruit et façonné. Détruit dans la mesure où, ma vie durant, je devrais me battre pour me créer des limites qui me permettraient une certaine normalité dans mes relations avec les autres et dans mon existence. Et façonné, d’un autre côté, car ça me pousserait à rechercher toute ma vie un endroit « singulier », tout en alimentant l’acharnement dont je ferais preuve dans ma musique. L’effort d’une vie pour reconstruire mon temple de sécurité sur les braises de ma mémoire et de ma nostalgie.

Pour l’amour de ma grand-mère, j’ai abandonné mes parents, ma sœur et une bonne partie du monde. Puis ce monde s’est effondré. Mes grands-parents sont tombés malades. Toute la famille s’est de nouveau regroupée pour s’installer dans une autre maison mitoyenne, au 68 South Street. Bientôt, ma jeune sœur Pam allait naître, mon grand-père mourir et ma grand-mère être rongée par le cancer ; ma maison, mon jardin, mon arbre, ma terre, mon sanctuaire seraient condamnés et le terrain vendu pour devenir un parking de l’église catholique Sainte-Rose-de-Lima.

 

Un grand merci @paulsh, c'est parfait comme ça !! 👍

Et merci aussi à @transpirator pour la proposition 😉

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